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Les Ecrits de Pickly

Les Ecrits de Pickly
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11 octobre 2014

Chapitre II – Passé Recomposé



Debout face à la table du Roi, Jaina observait le détail du rapport qu’on venait de lui donner à propos de la découverte faite par une mage dans la prison pandarène. Ainsi, Kairoz avait bel et bien rendu visite à Garrosh en dupant toute une armée de pandashans. Bien malgré elle, il fallait remarquer que c’était plutôt bien joué de la part de l’elfe. Néanmoins, ce potentiel magique renforçait ses inquiétudes, surtout au fil des lignes, ou sa surprise se transformait en épouvante, puis en terreur. Elle posa le parchemin sur la table et fit tout son possible pour rester comme à son habitude : imperturbable. La belle femme aux cheveux lumineux posa son intense regard bleuté sur son roi qui l’observait, l’air véritablement maussade. A sa droite se tenait Maraad, le chef draenei, qui observait le sol avec contemplation. Jaina poussa un soupir.

 

-         Qu’en pensez-vous ? lui demanda Varian d’un ton abrupt.

-         Je pense que tout est vrai, Sire.

-         Il faudra vérifier. Je ne sais même pas qui est cette … Hyure.

-         Je connais sa guilde de nom. Ce sont des gens respectables. Ils n’auraient pas eu l’audace de vous contacter si tout n’avait bien été vérifié.

-         Certes, mais je vous fais plus confiance qu’à n’importe quel mage. Vérifiez. Vous en êtes bien capable ?

-         Oui.

-         Alors, faites-le.

-         Bien. Sont-ils ici ?

-         Ils devraient arriver d’un moment à l’autre.

 

Un soldat entra comme pour faire écho aux paroles du Roi, pour leur apprendre que le navire transportant la guilde des Complices du Tonnerre était arrivé au port. On les fit escorter jusqu’à la salle où se trouvaient les trois souverains. Nelkisse entra en tête, suivie par Vohlt et Reyla de chacun de ses côtés. Le reste suivit en rang très ordonné et en silence, puis chacun salua avec le plus profond des respects.

 

-         Salutations, Haut-Roi, Dame Jaina, Seigneur Maraad. Je vous remercie de bien vouloir nous recevoir.

-         Dame Jaina ici présente va vérifier la véracité des dires de votre mage, lâcha le Roi sans répondre aux marques de respect en vigueur et d’un ton pressé. Ensuite, nous accorderons toute notre attention à votre affaire … Si cela est nécessaire.

 

Reyla plissa les yeux, mais ne dit rien, tandis que sa chef s’inclinait poliment. Elle aussi respectait Varian, mais il n’était pas obligé de leur parler de la sorte ! Ce qu’ils affirmaient était vrai, de toute façon, Jaina le confirmerait bien assez tôt. Elle donna l’ordre à Hyure de s’approcher de la Dame, qui lui offrit un sourire sympathique. Elle sembla lui expliquer quelque chose, mais Reyla était trop loin pour entendre quelque chose. Alors, les deux mages semblèrent entrer en communion.

 

Jaina ouvrit son esprit, et ce fut comme si celui de l’humaine entrait en elle en déferlant comme des vagues déchainées. Elle vit tout de la vision qu’elle avait généré à la prison : comment Kairoz avait libéré Garrosh, leurs plans, le passage qui leur avait permis de rejoindre une autre époque, ce pont entre le présent et le passé. A la fin de la vision, Jaina se sentit défaillir, et elle posa ses deux mains contre sa poitrine en se retournant lentement vers le Roi et Maraad, qui l’observaient avec impatience. Mais Varian n’eut pas besoin que Jaina formule le moindre mot : il avait bien comprit.

 

-         Alors, Garrosh s’est enfui … Idiots de pandarens ! hurla t-til en abattant son poing sur la table, faisant tomber de petits sujets représentants des humains et des orcs. Pourquoi insister pour juger Garrosh en Pandarie s’ils ne sont pas capables d’assurer son emprisonnement ? Les incapables !

-         Ce qui est fait est fait, Sire, murmura Maraad de sa voix grave, et malheureusement, nous ne possédons pas le pouvoir de revenir en arrière.

-         Mais eux, si, dit Jaina.

-         Que voulez-vous dire ?

-         Kairoz a bel et bien créé un portail pour l’amener, lui, ainsi que Garrosh, à une époque bien reculée de la nôtre.

-         Vous voulez dire qu’ils se sont projetés dans le futur ?

-         Non. Dans le passé. Et plus précisément, celui de Draenor. Malheureusement, impossible d’en savoir plus.

 

Varian bondit de son siège et se mit à faire les cents pas. Reyla évita de croiser son regard, tandis qu’à ses côtés, elle sentait la fébrilité de Vohlt se mélanger à la sienne.

 

-         Cela me parait plutôt évident, lâcha Maraad d’une voix tendue.

-         Plait-il ?

-         Si Kairoz s’est donné la peine de créer un portail vers le passé, et qu’il a tenu à y emmener Garrosh, je ne vois qu’une seule raison valable.

-         Laquelle ?

-         Ils ont du se projeter avant la corruption. Bien avant, même. Sûrement dans le but de l’arrêter, avant qu’elle ne soit accomplie.

-         Vous voulez dire, avant que Gul’Dan ne leur fasse boire le Sang du Démon ? demanda Nelkisse.

-         Absolument. Et leur but m’apparait, lui aussi, comme évident.

-         Nous conquérir, murmura le Roi en se figeant sur place.

 

Nelkisse se tourna vers les siens. Machinalement, Reyla s’approcha d’elle pour lui témoigner de son soutien. C’était tellement surnaturel ! Et en même temps, elle ne pouvait qu’accorder que tout son crédit aux visions d’Hyure, confirmées par Jaina en personne. L’idée d’une Horde unie sous une même bannière, dans le code le plus dur, l’ordre le plus pur, était encore plus effrayant que cette masse d’orc contrôlés par les démons. La véritable Horde que Garrosh avait vue était donc réelle, mais dans des conditions tout à fait différentes à ce que tous s’attendaient.

 

-         Le rassemblement des troupes est immédiat, hurla le roi, faisant sursauter Nelkisse. Nous allons déclarer l’état de guerre. Que toutes les troupes se tiennent prêtes ! hurla-t-il à l’un de ses sergents, qui sursauta sous l’invective. Nous devons nous préparer au pire.

-         Mais la menace est pour l’instant invisible.

-         Oui, pour l’instant. Néanmoins, je suis sûr qu’il y aura des signes avant-coureurs de l’invasion. Des éclaireurs, des failles temporelles … Ca peut être tout et n’importe quoi. Et il faudra tout chercher, absolument tout, sans exception. Et vous, ajouta-t-il en pointant Nelkisse du doigt, serez en première ligne. Je vous veux, vous et votre groupe, sur ce coup en même temps que mes propres troupes.

-         Toutes les guildes seront nécessaires pour préparer notre monde au combat qui se profile à l’horizon, émit Maraad. L’état de guerre les poussera à revenir dans nos Royaumes et à quitter la Pandarie.

-         Il n’y a plus rien de bon à faire là-bas de toutes façons, grogna le Roi. Laissez-nous, maintenant. Et … Je vous félicite, tous, acheva-t-il dans un murmure.

 

Chacun s’inclina, puis fit demi-tour pour sortir du château. Jaina intercepta Hyure et la gratifia d’un regard solennel.

 

-         Toutes mes félicitations. Et merci. Vous nous avez permis de prendre une avance non-négligeable sur le conflit qui s’amène.

 

Reyla s’arrêta, se retourna, et observa les deux femmes. Elle avait entendu les mots de Jaina, mais n’entendit pas Hyure répondre. Celle-ci se contenta de s’incliner avec la plus grande déférence et rejoignit les rangs avec des yeux brillants. Une fois dehors, la guerrière lui donna un coup de coude bien senti dans les côtes.

 

-         J’croyais que tu pouvais pas la saquer ?

-         Oh, lâche-moi un peu.

-         Aah ?

-         Arrête !

 

Elle la poussa en souriant, mais ne pouvait s’empêcher de penser à l’avenir avec fébrilité, comme tout le reste du groupe.

 

-         Que fait-on ? demanda Bruca.

-         Nous nous joignons à l’entrainement martial. Cela nous fera le plus grand bien à tous, décréta Vohlt sans consulter Nelkisse.

-         Oui, confirma celle-ci sans s’en formaliser. Il faut nous reprendre en main, c’est une certitude. Personne n’est autorisé à quitter Hurlevent jusqu’à nouvel ordre. Joignez-vous à tous les entraînements qui vous seront proposés, et suivez les ordres des responsables. Je vais me plier, moi aussi, à leur ligne de conduite, jusqu’à savoir réellement où nous allons.

 

Bruca acquiesça. Devant une menace non évaluée, mieux valait en effet suivre ce que le Roi et ses proches prévoyaient de faire, plutôt que de foncer tête baissée. Le chasseur tapota distraitement la tête de la hyène qui le suivait partout, et plongea au plus profond de ses pensées. Lorsque chacun se mit en route pour les entrainements respectifs, il resta là, immobile, et seul. Nelkisse le remarqua, et se dirigea vers lui.

 

-         Quelque chose ne va pas ?

-         Je ne peux pas m’empêcher de m’imaginer le pire …

-         Que veux-tu dire ?

-         Je veux dire … Que j’ai peur pour notre peuple. Crois-tu que leur haine envers nous existe toujours, malgré le changement de situation ?

-         La guerre est inscrite dans notre histoire, Bruca, et j’admets ne pas savoir que répondre à ta question, bien que je me la pose moi aussi. Nous verrons bien. Quoiqu’il en soit, nous ne sommes plus aussi crédules qu’avant. Nous sommes endurcis et puissants. Nous nous défendrons, et aujourd’hui, nous ne sommes plus seuls et isolés : nous avons l’Alliance. Tout ira bien.

Il acquiesça, guère rassuré cependant, et rejoignit les autres chasseurs pour l’entraînement. Nelkisse, quant à elle, suivit He ainsi que Vohlt jusqu’à la Cathédrale pour renouer avec la Lumière. Elle en avait plus que besoin en ces heures troubles.

 

***

Debout dans la vallée désertique, Garrosh contemplait la foule d’orcs rassemblés en contrebas avec une satisfaction sans failles.
Il avait été aisé de se débarasser de Kairoz. Gonflé d’orgueil et d’arrogance, il n’avait absolument pas vu l’orc venir. Cependant, il avait énormément hésité à le tuer, doutant de ses capacités à retrouver Grom par ses propres moyens. Il avait failli se faire tuer par ses gardes, surtout lorsqu’il avait insisté pour ne parler qu’à leur chef, ce qui avait été très insultant pour ce peuple si fier. Finalement, et contre toute attente, ils avaient accédé à sa requête. Il avait été difficile de tout faire comprendre à Grom, pas parce qu’il était sot, mais parce que la venue d’Hurlenfer relevait de la plus puissante des magies, et qu’il était bien difficile d’y croire. Parfois, dans le regard de son père, il voyait encore comme des traces de confusion. Mais il lui faisait confiance. Et ainsi, leur ère pouvait commencer.

 

Les travaux étaient maintenus à un rythme d’enfer. La Porte qui devait les conduire en Azeroth était désormais à moitié achevée. Garrosh ne put s’empêcher de sourire. Il venait de changer le cours de l’histoire. En tuant Gul’dan, il avait évité la corruption à toute la peuplade orque. Arborant une fière allure, des regards de feu profonds, et une peau brune sous laquelle saillaient les muscles, les orcs étaient plus puissants, plus nobles et plus robustes que jamais. Nulle trace de magie noire ne venait souiller leurs humbles postures. Ils étaient grands, beaux, et fiers. Et tout ça grâce à lui. Garrosh exultait. Il se tourna vers Grom, qui discutait avec des ouvriers, sûrement pour leur donner de nouvelles directives. Son fils resta en arrière, et attendit qu’il ne le rejoigne.

 

-         Notre œuvre devrait être finie d’ici moins d’un mois.

 

Garrosh acquiesça aux dires de Grom, ne trouvant pas les mots pour décrire son excitation.  Il lut néanmoins à peu près la même chose dans les yeux de son père, et en échangeant ce simple regard, ils se comprirent aussitôt. La soif de conquête était partagée. Mais pour Garrosh, c’était mille fois différent.
Il venait de loin. Il avait connu un tout autre déroulement des choses.
Seulement, cette fois, il en était le maître.
Il déciderait, lui, ainsi que la Horde de Fer, ce qu’il allait advenir de ce monde.

Il prendrait sa revanche sur ceux qui avaient souillé son honneur.

 

***

Les habitants de Hurlevent étaient terrés dans leurs maisons, et les portes de la ville étaient fermées. Cette vision étrange mettait Siskhaa très mal à l’aise.

 

Avec le reste de son groupe, elle avait assisté au branlebas de combat. Les troupes du Roi avaient alors déferlé dans les rues pour prendre leurs postes défensifs. Beaucoup d’entre eux avaient quitté la ville pour servir de renfort ailleurs. Les remparts de la ville avaient été renforcés, des provisions avaient été acheminées depuis Forgefer principalement, afin de pouvoir tenir un siège pendant des mois. Aucun doute n’était possible : le Roi ne prenait plus du tout la menace de Garrosh à la légère et s’en remettait entièrement aux dires d’Hyure. Heureusement que Jaina avait été là pour les confirmer : sans son appui, la Worgen doutait que Varian ne les eussent écoutés, et surtout, qu’il aurait accordé son crédit à leur récit.

 

Ainsi, contemplant ce spectacle ahurissant, Siskhaa se sentait bien mieux. Chaque jour, elle participait à l’entraînement martial, mais d’une façon légèrement différente que certains. Avec Xoraxo, elle faisait partie de ceux qui entrainaient les moins expérimentés, tout en se pliant à un exercice auprès des plus grands seigneurs de guerre du roi afin de se mettre elle-même à l’épreuve. Si elle était très fière, elle ne voulait cependant ne rien laisser au hasard. Ses oreilles remuaient sans cesse, signe de sa très grande agitation. Accoudée à la fenêtre de la chambre qu’elle partageait avec Aïloka, Firona et Hyure, elle observait le flux presque ininterrompu de soldats se mettre en branle. Elle était impatiente de rejoindre le combat.

 

Le message avait été passé à Vol’Jin, qui s’était chargé de mettre chacun des peuples sous son commandement au courant. Le combat semblait aiguillé pour rassembler l’Alliance et la Horde sous la même bannière, mais la Worgen n’y croyait pas une seule seconde. Il était évident que si elle en avait l’occasion, la Horde s’allierait à leurs envahisseurs d’un autre temps pour abattre l’Alliance. Et alors, elle ne donnait vraiment pas cher de leurs peaux.

 

-         T’as fini de grogner ?!

C’était Hyure qui, allongée négligemment sur sa paillasse, lui lança un glaçon qui alla s’écraser au sommet de son crâne. Siskhaa se retourna en gromellant.

-         On le sait que tu as envie de casser des culs. Ça va venir, t’inquiètes pas.

-         Oh, je m’inquiète pas.

-         Ah bon ? fit l’autre avec un sourire en biais. On dirait pas.


Elle modela un minuscule petit pic de glace qui heurta le nez de la Worgen, qui éternua, déclenchant l’hilarité de l’humaine. Elle retroussa les babines.

 

-         Arrêtez, implora Firona d’une voix faible.

 

Ailoka ne dit rien, mais coiffa les deux protagonistes d’un regard contrarié. Tout le monde était très tendu, mais pas Hyure. Elle semblait toujours au-dessus de toute difficulté, et si elle avait peur, ne le montrait jamais. Siskhaa était un peu de ce genre-là, mais était néanmoins sujette à une grande inquiètude avant le conflit. Dans le feu de l’action, rien ne pouvait l’arrêter. Mais avant … Toutes ces questions, ces menaces, ces incompréhensions la rongeaient jusqu’à l’os. Mais pas Hyure. Jamais.

 

-         Vous pensez qu’ils seront là quand ? jeta celle-ci d’une voix haut perché en créant un nuage de neige juste au-dessus de la tête de Siskhaa.

-         Difficile à dire, chuchota Firona en se tournant vers la druidesse, tandis que Siskhaa luttait contre les flocons qui collaient à sa crinière de jais. Ils pourraient arriver demain, comme dans une semaine, comme dans un  mois …

-         Quoiqu’il en soit, nous sommes préparés, affirma Ailoka avec confiance. Elle ferma les yeux, serra les poings, et fut enveloppée d’un nuage de brume épais et sombre. Dans un rugissement qui venait du plus profond de ses entrailles, elle se changea en Worgen à la peau brun clair et aux yeux gris aux reflets dorés. Ceux qui osent nous envahir ne nous trouverons pas à genoux, mais arme à la main, prêt à en découdre.


Siskhaa et l’elfe acquiesçèrent, mais Hyure toisa Ailoka avec arrogance et défi, et détourna la tête.

 

-         Je nous vois pas attendre les bras croisés.

-         On a pas les bras croisés, justement, répondit Firona avec humeur, agacée par la supériorité de sa camarade. Il y a l’entrainement. Evidemment, si t’y vas jamais …

-         J’ai pas besoin d’entrainement.

-         On en a tous besoin, toujours, maugréa Ailoka.

-         Perdez donc pas vot’temps, grogna Siskhaa, elle est toujours meilleure que les autres. Ça lui f’ra tout drôle quand elle se prendra une hache orque dans l’cul.

 

Hyure la gratifia d’un sourire agaçant qu’elle aurait voulu lui retirer à grands coups de griffes. Siskhaa n’y comprenait rien en matière de magie, et préférait la force brute, la force du corps. Elle se méfiait beaucoup des mages, et haïssait les démonistes presque jusqu’à la mort, parfaitement incapable de leur accorder la moindre parcelle de confiance. Elle n’ajouta rien, mais dévisagea Hyure avec agacement. Elles se taquinaient énormément, mais s’appréciaient, comme tout autre membre du groupe. Néanmoins, en ces heures troubles, Siskhaa n’était vraiment pas d’humeur à se prendre des boutades, ce que tout le monde comprenait. Sauf Hyure. Celle-ci s’affala négligemment sur son lit et bailla à s’en décrocher la mâchoire.

Le bruit des sabots des chevaux claquaient contre les pavés de la ville. Tout un bataillon sorti des écuries royales et se dirigea vers la fôret d’Elwynn. Siskhaa ne comprenait pas le but de toutes ces manœuvres.

 

-         Ils doivent renforcer toutes les villes, chuchota Firona comme pour faire écho à ses pensées. Je n’ose pas imaginer la terreur de ceux qui vivent dans les plus petites.

Siskhaa et Ailoka échangèrent un regard. Toutes deux avaient déjà connu la perte d’un foyer : celui de Gilnéas. Voir les troupes s’éparpiller ainsi les mettaient toutes deux mal à l’aise, car aucune n’était prête à laisser cette tragédie arriver à Hurlevent, comme cela avait déjà eu lieu dans le passé, lorsqu’Orgrim Marteau-du-Destin était à la tête de la Horde. Elles étaient trop jeunes pour avoir connu cette époque, mais toutes deux connaissaient l’histoire, comme tout le monde. Ailoka hocha la tête, et Siskhaa lui rendit son salut, la bouche sèche.

 

-         Je vais rejoindre Reyla à l’entraînement.

-         Ouais, vas-y hein ! T’en as besoin !

 

Une boule de neige traversa la pièce, que la worgen esquiva en tournant le dos à la mage, et sorti en claquant la porte avec humeur.
La ville était transportée par les bruits du métal, des sabots et des ordres lancés à tout-va. On arrêta Siskhaa au moins cinq fois pour lui rappeler de ne pas quitter la ville. Elle mit presque une trentaine de minutes pour rejoindre le quartier d’entrainement ou Reyla jouait de ses deux épées contre un mannequin d’entrainement. A l’arrivée de Siskhaa, elle s’épongea le front d’un revers de la main et lui lança un sourire. Siskhaa dégaina son épée et placa son bouclier, avant de frapper dessus en guise de provocation, les yeux jetant des éclairs. Reyla sourit de plus belle, et poussa un cri de guerre avant de se jeter sur la bête.

 

Comme la plupart des Worgens, Siskhaa ne portait pas de casque. D’abord, parce qu’il était très difficile de forger une armure de tête pour des lycanthropes, et de plus car cette race avait une espèce de fierté bestiale qui les poussait à avoir le moins recours possible aux armes et armures. Dans le cas de Siskhaa, il fallait qu’elle se protège, puisqu’elle était en tête de ligne. Mais sa tête n’arborait qu’une fière crinière noire déchainée et des oreilles rabattues, rien de plus. Reyla tenta donc de l’atteindre ici, mais elle s’y attendait, et la bloqua avec son bouclier avant de la projeter en arrière. L’humaine bondit de nouveau à l’attaque avec une vélocité surprenante et atteignit le flanc de la Worgen. Celle-ci poussa un hurlement qui fit vibrer le sol et étourdit Reyla juste assez longtemps pour qu’elle l’atteigne à l’épaule, le métal de son épée vibrant dans celui des épaulières de sa victime.

 

Reyla recula, et tourna lentement autour de sa cible, les yeux plissés. Siskhaa attendit, sans ciller. Puis elles chargèrent en même temps. Reyla bloqua le bras de Siskhaa avec son épée et l’obligea ainsi à tenir son bouclier en retrait, et l’atteignit à nouveau au flanc. Siskhaa bloqua à son tour son bras, et un craquement retentit dans celui de Reyla, qui hurla sa douleur et frappa de son bras droit vers le cou de la bête, qui se trancha net. Du sang se déversa de la plaie, mais en proie à une véritable furie, Siskhaa sembla ne pas s’en apercevoir, mais ses mouvements étaient ralentis. Elle chargea, bouclier et épée en avant, mais Reyla esquiva et tenta de l’attaquer par-derrière. Le métal frôla à nouveau les flancs de Siskhaa, qui repoussa son adversaire d’un coup de pied, pivota, et la frappa de toutes ses forces avec son bouclier. Reyla tomba sur le dos, et prit tout son temps pour se relever, remettant son casque en place.

 

-         Très bons réflexes, malgré tes armes lourdes, maugréa-t-elle. Attention cependant à plus être sur la défensive que penser offensif. Ça, c’est le rôle de l’arrière garde.

-         Entendu.


Toutes deux saluèrent, puis se séparèrent sans un mot de plus. Siskhaa fit soigner sa plaie au cou auprès des prêtres et rejoignit sa chambre à reculons. Retourner se terrer là-dedans en attendant l’affrontement était une véritable torture. Mais se blesser stupidement à l’entraînement n’était pas plus intelligent. Elle déposa ses armes dans l’entrée, et remonta dans la petite pièce. Hyure s’était endormie, Firona lisait, Ailoka contemplait l’extérieur. Brutalement fatiguée, Siskhaa s’allongea sur sa couche faite de peaux, poussa un soupir, et ferma les yeux.

 

Quelques heures plus tard, la cloche de l’Eglise résonna en tirant brusquement la Worgen de son sommeil. Elle entendit alors un bruit de course, qui se dissipait rapidement. Elle dressa les oreilles et se leva, encore engourdie. Toutes ses camarades avaient disparu. En se penchant par la fenêtre, elle les vit courir sur les rues pavées de la capitale. En grognant, la worgen sauta par ladite fenêtre et, courant à quatre pattes, rattrapa bien vite celles qui l’avaient devancées. Elles et bien d’autres groupes de guerriers de toutes races les rejoignirent dans leur cavalcade, et ensemble, ils mirent le cap sur la place de l’Eglise, qu’ils rejoignirent très vite. Hammond Clay, général de l’Alliance, se tenait sur un petit promontoire, déjà entouré de nombreux guerriers, mages, druides, et autres moines. Il attendit quelques instants que les retardataires arrivent, puis s’adressa à la foule, plongée dans un calme olympien, dont les yeux brillaient autant de peur que de curiosité.

Le général, homme robuste aux courts cheveux bruns, dominait l’assistance avec l’autorité et l’aisance qui lui étaient propres. Il déroula un parchemin et le lit d’une voix haute et puissante. Pourtant, Siskhaa remarqua qu’il était particulièrement tendu et agité, malgré tous les efforts qu’il déployait pour rester calme devant les siens. Elle serra les mâchoires. Elle n’était pas sûre d’aimer ce qu’elle allait entendre.

 

« De Varian Wrynn, Haut Roi de Hurlevent. Une activité anormale dans les Terres Foudroyées à poussé nos troupes de reconnaissance à enquêter dans cette région. Au premier jour, il s’agissait d’ombres qui s’agitaient autour du portail désactivé. Le second, la terre autour de l’édifice a commencé à se fissurer et à créer des trous béants dans le sol et les montagnes. Le troisième jour, le portail a prit une teinte rouge sang, et nos équipes ont alors envoyé une alerte à Hurlevent. Le temps que je m’y rende en personne avec mes troupes d’élites, ils étaient tous morts. »

 

Des cris retentirent dans l’assistance, que Laurena, prêtresse de Hurlevent, fit taire d’un geste sévère.

 

« La Porte des Ténèbres s’est ouverte à nouveau, laissant passer des dizaines et des dizaines d’orcs en provenance de Draenor. Ils sont très différents de ceux que nous connaissons. Leur peau est brune, et non pas verte. Ils sont ordonnés, minutieux, intelligents, et incroyablement forts. Ils sont menés par Grom Hurlenfer, ainsi que par son fils … Garrosh. »

 

Siskhaa n’en croyait pas ses oreilles. Bouche bée, elle se tourna vers Nelkisse qui, le visage grave, fixait son supérieur. Vohlt avait les yeux rivés au sol, et Bruca chuchotait nerveusement avec He et Feannore. Tous partageaient le même sentiment d’incompréhension, de peur et de colère qu’elle-même tentait de refouler.

 

« Tous les combattants de l’Alliance et de la Horde sont amenés à rejoindre le front pour repousser l’envahisseur, qui porte désormais le nom de Horde de Fer. Tout guerrier passant la Porte doit mourir. Les mages sont invités à rejoindre la base du Kirin Tor pour travailler avec les archimages et les magus les plus puissants de ce monde, de la Horde ou de l’Alliance, afin de trouver un moyen de refermer cette Porte au plus vite.

Champions … Je compte sur vous. »

Le silence était de plomb. Le général rangea soigneusement le parchemin et poussa un profond soupir, comme s’il ne savait pas par où commencer. Il rejeta la tête en arrière, puis posa à nouveau son regard de braise sur l’assistance.

 

-          Depuis que nous avons reçu cette lettre, il s’est passé d’autres choses. Notre Roi est en réunion au sommet avec Vol’Jin pour préparer la contre-offensive. Il semblerait que ce combat nous unisse face à un ennemi commun. La trève prend des allures d’alliance, et je ne tolérerai pas que d’anciennes tensions ne vienne porter une ombre sur ce partenariat. J’espère m’être bien fais comprendre. Ensuite, nous avons appris que Rempart-du-Néant, ainsi que Okril’On, sont tombés. Le Roi exige que l’on envoie tous les combattants disponibles sur place afin d’évaluer l’ampleur de leurs effectifs, leur force, et les pousser à repartir, peu importe d’où ils viennent. 

 

Des vivats éclatèrent au sein de l’assistance. Clay acquiesça en esquissant un sourire, mais Siskhaa fut tirée de cette contemplation par Reyla, qui la tirait vivement par le bras. Elle n’eut pas le temps de protester qu’elle se retrouvait à l’arrière de la foule, là où sa guilde s’était réunie. Nelkisse et Vohlt avaient le visage fermé et le regard plein de détermination. Il y avait longtemps qu’on ne les avait pas vues aussi froides et remplies d’envie d’en découdre. Les autres étaient aussi décontenancés que Siskhaa, mais bien décidés à suivre le mouvement.

 

-         Nous partons sur le champ, déclara Nelkisse. Nous prendrons la voie des airs. Tout le monde à dos de dragon. Siskhaa, ton proto-drake t’attend au port, il est arrivé il y a deux jours. Vohlt, les palefreniers ont soigné ton drake de pierre vitrifiée a été soigné, et il t’attend au même endroit. Nous chevaucherons sans relâche jusqu’à notre destination, alors préparez-vous en conséquence.

Chacun s’exécuta rapidement. Siskhaa récupéra ses armes, une nouvelle chemise, ainsi qu’un peu de nourriture pour elle et sa monture. Elle se mit rapidement en selle, après avoir vérifié que chacune de ses pièces d’armures, ainsi que son épée et son bouclier, étaient parfaitement opérationnels. Les autres la rejoignirent bientôt sur les quais. Nelkisse fut la dernière, en selle sur un drake bleu aux crocs étincelants.

La draenei resserra son emprise sur les rênes de la bête, qui se recroquevilla, se demandant ce qu’elle avait fait de mal. Elle poussa un soupir pour se décontracter. Ils avaient affronté bien des dangers, ensemble. Il n’y avait plus grand-chose qui puisse les effrayer. Lorsqu’elle posa son regard sur Reyla, puis Hyure, elle sentit leur force et leur détermination sans faille s’insinuer en elle. Elle se sentit soudain inébranlable, forte, sûre d’elle. Elle observa ensuite Bruca et se sentit plus mal à l’aise, bien plus sensible. Ses pensées allèrent vers les plus jeunes, les plus vieux, les orphelins, les blessés et les morts. Et ainsi de suite, à chaque fois qu’elle plongeait son regard lumineux dans celui des siens, elle ressentait tout, absolument tout ce qu’ils ressentaient eux-même, ne faisant plus qu’un avec leurs doutes et leurs questions, autant qu’avec leur force et leur courage. Elle se redressa sur sa selle, observa Vohlt un long moment. Celle-ci hocha la tête. Elle se tourna alors vers sa guilde.

Reyla, Hyure, Siskhaa, Xoraxo, Bruca, Feannore, He, Kuti, Hyury, Ailoka, Layllah, Skarvan, Tehlya, Firona, Ëllen, Thramir, Lörna. Et Vohlt. Tous l’observaient, attendant patiemment l’ordre de partir. Mais avant cela, Nelkisse porta la main à son cœur et ouvrit grand les yeux.

 

-         J’ai toute confiance en vous. Je sais que vous me suivrez au cœur de ce chaos sans défaillir, et je suis honorée par vôtre loyauté. Je pense sincérement que tant que nous resterons aussi unis que nous le sommes en ce moment-même, la Horde de Fer ne pourra rien contre nous.

 

Chacun hurla son approbation, les cris étant couronnés par les rugissements bestiaux des Worgens. Nelkisse esquissa un sourire, et talonna sa monture. En quelques battements d’ailes, la puissante bête aux écailles bleu ciel se hissa dans les cieux et, trouvant un courant porteur, mit le cap sur le sud. Nelkisse lui laissa les rênes longues, et son regard se perdit dans l’infini bleu-rosé du ciel. Le soleil pâle amorçait sa lente descente dans la Grande Mer, comme effrayé de faire face aux nouvelles de ce sinistre crépuscule.

 

Te lèveras-tu demain, pour guider les miens ? Les inonderas-tu de ta sainte lumière au cœur des ténèbres ? Nous en aurons besoin, s’il te plait, ne nous abandonne pas …

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2 octobre 2014

Chapitre I - Fragments de cauchemar

CHAPITRE I -

Debout face au Val dévasté, Nelkisse laissait ses pensées aller au gré du vent.

Ses mains posées sur la rambarde tremblaient légèrement, comme à chaque fois qu’elle constatait l’étendue des dégâts causés par Garrosh. Cela faisait des mois qu’il était en prison, et qu’on entendait plus parler de lui, mais même si le gardien des eaux du Val, Immerseus, avait été purgé de sa corruption, le Val mettait du temps à se remettre de ses blessures. Le Chroniqueur Cho, guide des troupes Horde et Alliance sur le territoire de Pandarie, leur avait certifié que tout rentrerait dans l’ordre. Nelkisse en doutait, et cela la mettait fortement mal à l’aise. Le peuple pandaren avait tellement souffert, et tout ça à cause d’eux. Horde, Alliance, quel droit avaient-ils, finalement, d’apporter la guerre jusqu’à ces contrées paisibles ? Ils avaient leurs propres conflits, certes, mais jamais, jamais cela n’aurait dégénéré ainsi s’ils n’étaient pas venus troubler leurs existences. Et pour cela, la draenei culpabilisait énormément.

 

Elle lâcha la barrière et s’étira pour détendre ses muscles noués. Elle profitait de la vie du mieux qu’elle le pouvait depuis que les combats avaient cessé, mais oeuvrait toujours dans la grande infirmerie située au-dessus du Palais Mogu’Shan, derrière la librairie. Pratiquer les soins était sa plus grande passion au monde, et elle n’appréciait pas trop être totalement désœuvrée. Elle agissait donc en bénévole, lorsque l’envie lui prenait.


Cela dit, il y avait toujours des choses à gérer lorsque l’on était à la tête d’une guilde. Elle était bien épaulée par Vohlt, l’elfe prêtresse qui était à la tête de son corps d’armée, mais elle avait une part à prendre en main aussi. La draenei et l’elfe voulaient être prêtes à tout, aussi imposaient-elles à leurs membres un entrainement constant. Néanmoins, en ce moment, le groupe était assez éparpillé, et il était difficile de dire si chacun suivait les ordres ou non. Secrètement, elle espérait que tous reviendraient bientôt ici-même, en Pandarie, bien que cet espoir soit mince.

 

Nelkisse adorait la Pandarie, et elle ne s’imaginait pas la quitter. En tout cas, pas maintenant.

 

-         Tout va bien ?

La voix la fit sursauter. Elle se détourna vivement en portant la main à son cœur, puis afficha un sourire penaud.

 

-         Oh, Vohlt ! Tu m’as fait peur …

-         Désolée, lâcha l’elfe, l’air pas si désolé que ça. Je viens t’apprendre que Hyure est introuvable. Je pense qu’elle aussi est retournée dans les Royaumes de l’Est … Ou même à Dalaran, plus supposément.

-         Oh, vraiment ? Hé bien, je suppose qu’on ne peut pas l’empêcher de se déplacer. Nous ne sommes pas en période de guerre, chacun est libre d’aller où il le souhaite.

-         Ce n’est pas très sérieux, ajouta Vohlt en plissant les yeux, l’air irrité. Cela fait des semaines que Siskhaa, par exemple, n’est pas revenue au contact. Même chose pour Bruca, Xenodora, Xoraxo …  Et maintenant, Hyure ? Qu’est-ce qu’on est censés faire en cas d’appel aux armes ?

-         L’appel aux armes viendra forcément de Hurlevent, et alors nos membres seront forcément au courant, répliqua la chef de guilde avec calme. Ne t’énerve pas pour si peu. De toute façon, j’ai la conviction qu’ils reviendront bientôt.


Vohlt fronça les sourcils mais n’ajouta rien. Elle connaissait les pouvoirs chamaniques de Nelkisse et ne remettait jamais ses intuitions en question, car elles étaient fondées sur ce que les esprits lui laissaient entendre. Elle semblait tellement sûre d’elle qu’elle sentit un brin d’espoir germer en elle. L’elfe souhaitait elle aussi le retour des autres, mais la draenei avait raison : en ces temps de paix, on ne pouvait pas les forcer à obéir. Du moins, pas tant qu’elles auraient une raison valable sous la main, et cette raison, c’était la guerre. Ça, Vohlt le désirait le moins du monde. Soigneuse, tout comme sa supérieure, elle haïssait les conflits plus que tout au monde, mais les prenait très au sérieux. Il était plutôt rare de voir un soigneur à la tête d’un corps d’armée, mais ce n’était pas pour rien qu’elle était à cette place. Vohlt était dotée d’une grande intelligence, d’un sérieux indubitable, et d’un esprit pratique remarquable. Lorsqu’elle préparait une stratégie, aucun détail n’était laissé au hasard, et c’était cela qui lui avait valu sa promotion, à la place d’un guerrier qui aurait foncé tête baissée. Elle avait assez de recul pour penser à toutes les options avant de se lancer dans la bataille, et en cela, elle était un très bon chef des armées.

 

-         Très bien, finit-elle par dire d’un ton un peu plus léger. Je vais aller retrouver les autres. Souhaites-tu venir ?

-         Oui, répondit Nelkisse après un temps d’hésitation. Allons-y.

 

Ce qu’il restait des « autres », c’était surtout Reyla, une guerrière humaine qui maniait les armes comme personne. Il y avait d’autres membres, mais remplacants uniquement : Firona et Ëllen, deux elfes de la nuit chasseresses, Laylah, une draenei paladin orientée vers le soin, Telhya, Aïloka, Hyury et Lörna, des druidesses elfes de la nuit – hormis Ailoka, qui était worgen, mais avait l’habileté nécessaire pour conserver sa forme humaine en toutes circonstances. Un peu plus loin, Nelkisse avisa un humanoïde court sur pattes qui se précipitait vers l’assemblée : Skarvan, un gnome moine.

 

-         Voilà voilà ! Thé au jasmin pour tout le monde !

-         Merci, petit être, murmura Telhya.

-         Quelles sont les nouvelles ? demanda Nelkisse en s’asseyant près de Vohlt et Lörna.

-         Pas grand-chose … se plaint le gnome. On s’ennuie un peu par ici. Quand est-ce que les autres vont revenir ?

-         Si seulement on savait ! grommela Vohlt.

 

Reyla se trémoussa sur sa chaise mais ne dit rien. Les autres se regardèrent, mais personne ne prit la parole.

 

-         Que se passe-t-il ? demanda Nelkisse en plissant les yeux.

 

Un lourd silence lui répondit. Elle sentit la tension monter en elle et les esprits dans sa tête s’affoler. Elle essayait de comprendre ce qui causait leur agitation, tout comme la tension qui venait de prendre l’assemblée. Ses camarades savaient quelque chose, quelque chose d’obscur, et il le lui cachaient.

-         Parlez, ordonna Vohlt.

-         On était pas censé le dire … commença Layllah.

-         … Mais si Hyure est partie si vite, c’est parce qu’elle a découvert quelque chose à propos de l’emprisonnement de Garrosh, poursuivit Firona. Elle ne nous l’a pas dit ouvertement, mais on l’a deviné.

-         Beaucoup de gens parlent d’un visiteur peu commun à la cellule de Garrosh, reprit Ëllen, tandis que Firona acquiesçait. Il s’agirait de Kairoz, le membre du Vol Draconique Bronze. Il n’y a aucune preuve, et pour nous, ce ne sont que des racontards … Mais ça a fini par arriver aux oreilles de Hyure.

-         Et comme vous pouvez le deviner, grogna Reyla, elle s’est mise en quête de faire sa petite enquête.

-         Et pour ça, elle est allée trouver Siskhaa, termina Vohlt, qui avait tout compris. Evidemment. Elle a fait tout ce voyage pour des rumeurs ? Et vous n’avez rien fait pour l’en dissuader ?

-         Parce que tu penses que n’importe qui içi pourrait ôter une idée de la tête de cette humaine ? demanda Skarvan d’une voix rieuse. Nous avons tous des pouvoirs, noble Vohlt, mais leur étendue à ses limites. Cela dit, l’heure n’est pas à l’inquiétude. Je pense qu’elle reviendra bientôt. Peut-être essaye-t-elle justement de retrouver les nôtres pour les faire revenir, afin que nous puissions tous discuter de cela.

-         Il n’y a rien à dire ! s’emporta Reyla en faisant valser son bol vers le gnome Tehlya, qui dût se baisser pour l’éviter. Ce ne sont que des mensonges ! Et puis, même si c’était vrai, qu’est-ce que ça peut bien nous foutre ?

-         La visite d’un dragon de l’ordre de Kairoz face au chef de guerre relève d’une importance aigue, murmura Nelkisse d’une voix douce, qui jusque-là n’avait pas encore pris la parole. Il n’est même pas censé être sur le continent. Je me demande ce qui a pu le pousser à aller voir Garrosh … Et à mon avis, ce n’est pas de bon augure.

 

Elle sembla réfléchir un instant, puis reprit d’une voix claire.

 

-         Pour l’instant, je ne veux que personne n’alimente ces racontars. J’irai m’entretenir avec les gardiens de la Prison pour en savoir plus. Au moins cela mettra-t-il les choses au clair. J’espère que les autres reviendront bientôt, néanmoins. Nous ne pouvons pas nous permettre de s’espacer autant, et surtout, si longtemps.

-         Le bon sens devrait les reconduire parmi nous dans les plus brefs délais, murmura Ailoka, appuyée par ses collègues druides.

-         Je l’espère, souffla Skarvan.

-         Vous pouvez tous disposer. Vohlt, prends le portail du Sanctuaire pour Hurlevent et essaye de mettre la main sur Siskhaa. N’allez pas chercher Hyure. Je pense que se mettre à sa poursuite serait … Contreproductif. Par la même occasion, essaye de voir si d’autres de nos camarades ne se trouveraient pas à la capitale ou dans ses alentours.

-         Compris.

-         Je te retrouverai ce soir à Pao’don pour te reconduire ici. Fais vite.

L’elfe parti sur le champ, tandis que les autres se levaient pour saluer leur chef et s’en allèrent. Celle-ci posa les mains sur la table, les épaules tendues.

 

Elle avait un très mauvais pressentiment.

 

***


Vohlt n’aimait pas les téléportations. Elle avait toujours l’impression que son estomac lui remontait dans le cerveau, et vice versa. Arrivée à bon port, elle mit quelques instants à reprendre ses esprits et descendit la Tour des Mages avant de se rendre à pied jusqu’à la place de l’Hôtel des Ventes. Elle demanda aux Commissaires-Priseurs ainsi qu’aux teneurs de tavernes s’ils avaient vu telle ou telle personne, et en général, ce fut le cas. On lui apprit que Siskhaa était partie quelques heures plus tôt, et que Hyure avait quitté la ville à l’aide de l’un de ses portails. C’était déjà un bon début. Elle emprunta un griffon et inspecta la ville d’en haut, le souffle coupé par la sensation du vol, toujours aussi grisante. Là-bas, près de l’entrée de la ville, se dessinait la silhouette imposante et caractéristique d’un proto-drake. Elle plissa les yeux. Sa vision d’elfe affûtée capta une autre silhouette, juchée sur la selle. La crinière noire flottant au vent lui fit immédiatement écho. Elle talonna sa monture, qui fila comme le vent vers le dragon. Il sembla sentir le griffon venir de loin, car il échappa au contrôle de sa cavalière et se retourna en poussant un rugissement qui effraya le griffon. Celui-ci se renversa et déploya ses ailes pour freiner sec, manquant de désarçonner Vohlt. Celle-ci croisa le regard de Siskhaa, qui plaqua les oreilles en arrière et pinça les narines.

 

-         Vohlt ?

-         Salut Siskhaa.

-         Décidément, c’est la journée …

-         Ne m’en parle pas. Nelkisse veut que tout le monde rentre. Tout de suite.

-         Très bien. Je dois te prévenir qu’Hyure est …

-         A Dalaran, oui, c’est ce qu’on a supposé.


Si le visage de Siskhaa se teinta de surprise, son respect pour sa supérieure l’empêcha de poser la moindre question.

 

-         Veux-tu que je prenne le portail pour Pao’Don tout de suite, ou que je t’aide à chercher les autres ?

-         Si tu sais retrouver des gens sur Hurlevent, vas-y. Je me charge du reste.

-         Je crois que Bruca est à l’Exodar. Xoraxo est ici, dans une auberge … Quant à Xenodora, il avait disparu déjà bien avant. Je pense pas qu’on le reverra.

-         Espérons-le.

-         Ne perds pas ton temps à le chercher, en tout cas. Enfin … Je te le conseille pas.

-         Oui, tu as raison. Je vais à Dalaran, puis je me rendrais à l’Exodar avec Hyure. On se retrouvera tous au Sanctuaire.

Siskhaa acquiesça alors que Vohlt repartait déjà à toute allure. Ce n’était pas le genre d’Hyure de manquer de discrétion. Est-ce que les rumeurs étaient si enflées que tout le monde en avait eu vent ? Et si ce n’était pas des rumeurs, finalement ?

 

***


Deux jours plus tard, finalement, Vohlt retrouva Nelkisse avec leur équipe au grand complet à Pao’Don. Les retrouvailles furent brèves, car la chamane semblait très tendue. Tout le monde avait entendu parler du problème, et tout le monde était par conséquent sur le qui-vive. Ils mirent le cap sur le Sanctuaire à dos de monture volante, toutes apportées par leur chef. Siskhaa avait dû laisser à contrecoeur son proto-drake, qui lui serait ramené par bateau plus tard. Se passer de cette monture, qui était sa préférée, lui mettait un coup au moral, mais ce n’était rien vis-à-vis de la tension qui régnait au sein de sa troupe. Arrivés au Sanctuaire, Nelkisse héla le reste de la guilde, et refit un bref topo de la situation.


  -      Je suis allée parler aux gardes de la cellule de Hurlenfer, ajouta-t-elle    d’un air sombre. Ils affirment tous que personne n’a vu Kairoz s’infiltrer dans la prison, et que si tel avait été le cas, des gardes auraient été selectionnés pour rester sur place afin de surveiller la conversation, comme à chaque fois où quelqu’un vient visiter Hurlenfer … Ce qui est très, très rare.

-         Alors, c’est bien du faux ? maugréa Reyla. Toute cette agitation pour rien …

-         Pas du tout. J’ai demandé aux gardes s’ils avaient senti l’odeur du soufre, ou de la magie … Et c’est bien le cas. Kairoz a fait us de ses talents pour visiter Garrosh sans se faire prendre. Un tour de passe-passe très, très difficile à réaliser, d’après les mages avec qui j’ai pu parler.

Les regards se tournèrent vers Hyure, qui fixait sa supérieure bouche bée. Elle cligna des yeux et se redressa d’un air sévère lorsqu’elle se rendit compte que tout le monde la regardait.

-         Nelkisse a raison … C’est indescriptible. Il a dû non seulement tromper la vision de tous les gardes, mais en plus s’englober avec Garrosh dans une bulle où personne ne pourrait ni les voir, ni les entendre. Tout en maintenant l’illusion que Garrosh était bien là, paisible dans sa cellule.

-         Malheureusement, on ne peut pas vérifier les faits, constata Bruca. Tout cela ne se base que sur des suppositions.

-         Il a raison, répliqua Reyla en se détournant comme si la question était résolue.

-         Ça ne veut pas dire qu’il faut ignorer tout cela pour autant, ajouta Vohlt d’une voix ferme. Nous devons enquêter.

 

Elle se tourna vers la mage.

 

-         As-tu pu voir quelque chose ?

-         Pas encore, mais j’ai tout ce qu’il me faut sous la main. Encore un peu de travail, et je devrais pouvoir être capable de forger une vision du passé. Mais … Il faudra que je sois sur place, ajouta-t-elle en frémissant de dégoût.

Siskhaa eut un petit sourire. Se retrouver face à face avec l’ancien chef de guerre n’était pas alléchant, elle en convenait. Mais tous leurs espoirs reposaient sur Hyure et ses talents de sorcière.

 

-         Très bien, dit Nelkisse d’une voix ferme. Quand tout sera terminé, viens me voir. Nous irons ensemble, toi et moi.


Il devait être à peine quatre heures ce matin-là lorsque Hyure s’éveilla en sursaut. Elle avait passé les trois derniers jours à travailler d’arrache-pied, et était désormais prête. Elle avait voulu se jeter immédiatement dans la mêlée, mais elle savait bien malgré elle qu’il fallait qu’elle se repose, et qu’elle s’alimente, avant d’accomplir sa prouesse. Elle se lava, s’habilla, mangea à nouveau, même si son estomac protestait à chaque bouchée, et sortit de sa chambre pour aller toquer à celle de Nelkisse. Elle s’inquiéta lorsque la draenei mit du temps à lui ouvrir la porte. Elle la trouva en robe de chambre, les yeux rougis par le sommeil.

 

      - Qu’y a-t-il ?

-         Je, heu, je suis désolée, j’avais pas vu l’heure !

-         C’est pas grave. Je te rejoins à l’entrée de la prison. Vas-y.

 

Elle descendit en hâte les escaliers, adopta la forme d’une panthère noire ailée et se propulsa dans les airs. Nelkisse de son côté, bailla à s’en décrocher la mâchoire et se prépara lentement, épuisée, tendue et inquiète en même temps. Elle se rendit à la prison pandarène à dos de chimère, une bête qui avait été domptée et exploitée par la Horde, et qu’elle avait pris sous son aile après la guerre. Le voyage fut court et sans encombre. Devant l’entrée, elle trouva Hyure, ainsi que deux solides gardes pandashan au visage voilé par un épais tissu noir. L’un d’eux s’avança et salua Nelkisse avec respect.

 

-         Taran Zhu vous attend à l’intérieur. Il a insisté pour surveiller vos … Petites affaires.

-         Cela risque-t-il de compromettre ton succès ? demanda-t-elle à sa camarade après avoir poussé un soupir exaspéré.

-         Non.

-         Alors, allons-y. Finissons-en.

 

Elles furent escortées au plus profond de la prison. Il s’agissait d’une profonde galerie froide et humide, qui n’avait sûrement jamais connu les bienfaits du soleil. Les parois étaient incroyablement lisses, les cellules peu nombreuses, mais très bien gardées, étroites et obscures. Nelkisse frissonna, mais Hyure restait imperturbable, le regard rivé vers le bout de leur chemin. Bientôt, l’un des gardes alluma une torche pour qu’ils puissent être à même de s’orienter. Un cliquetis de chaîne brutal attira l’attention de la draenei. Les gardes s’arrêtèrent et firent aussitôt demi-tour. Un immense pandashan coiffé du heaume caractéristique de son clan leur tournait le dos. Il ne fit pas un geste lorsqu’il les entendit arrivé, et attendit simplement qu’elles prennent place à ses côtés. Il leur indiqua la cellule du fond : une grille immense aux carreaux très serrés leur faisait face, aux barreaux épais taillés dans l’acier le plus dur. Un orc gigantesque, à la peau brune, aux muscles saillants, y était enchainés. Ses bras étaient attachés vers le haut, un collier étrangleur enserrait sa gorge au moindre de ses mouvements. Ses jambes et ses pieds étaient ligotés aussi, avec en leurs bouts, deux lourds boulets noirs. L’orc redressa la tête et avisa ses visiteurs. D’abord le pandashan, qu’il observa avec haine. Ensuite la mage, qu’il ignora rapidement, pour se tourner vers la draenei.

 

Le regard qu’il lui offrit alors lui glaça le sang. Il la gratifia d’un sourire carnassier, comme si elle n’était qu’une pièce de viande saignante et bien alléchante. Alors, l’orc se mit à ricaner faiblement, imperceptiblement, mais cette hilarité donna la chair de poule à Nelkisse.

 

-         Allez. Finissons-en, jeta-t-elle un peu plus méchamment qu’elle ne l’aurait voulu.

Taran Zhu recula, et elle en fit de même, pour laisser Hyure seule face à Hurlenfer. Seuls les barreaux les séparaient. La cellule n’était pas profonde du tout : il y avait juste la place pour le corps massif du chef de guerre déchu pour y entrer et en sortir. S’il avait été libre de ses mouvements, il n’aurait même pas pu bouger.

Si Hyure avait peur, elle n’en laissait rien paraître. Après tout, elle avait été présente, comme le reste de sa guilde, dans le combat qui avait conduit Garrosh à sa perte. Il n’était plus rien à présent, et ne craignait rien, elle en était sûre. Elle le regarda droit dans les yeux, d’un regard glacial et pénétrant, empreint de toute la haine et de la rage qu’elle éprouvait encore à son égard. Alors, elle ferma les yeux, et tâcha de faire le vide. Elle se concentra sur des choses mineures : le bruit des gouttes d’eau qui tombaient du plafond dans un rythme mélodieux et régulier, le tempo de son propre cœur, la respiration gutturale de l’orc face à elle. Petit à petit, son esprit se referma, et le vide le plus intégral se fit en elle. Elle mit ses deux mains face à face et prononça une incantation. Une brume bleutée l’enveloppa alors, ce qui fit immédiatement s’agiter Garrosh.

 

-         Qu’est-ce que cette pourriture est en train de faire sous mon nez, Pandashan ? cracha-t-il au visage de Taran Zhu.

-         Tu n’as pas le droit de parler, Orc, répliqua le pandaren avec un calme olympien.

Cela dit, il fit signe à des gardes de s’avancer, et ils passèrent leurs hallebardes fines mais tranchantes comme des lames de rasoir entre les minuscules carreaux que formaient les barreaux de la prison. L’orc ne broncha pas. Il n’était pas idiot. Il semblait, aux yeux de Nelkisse, avoir deviné la procédure, ce qui l’inquiéta aussitôt.

 

-         Ne devrions-nous pas l’empêcher de faire du bruit ? Il pourrait rompre l’incantation.

-         Il aurait fallu le faire plus tôt.

 

Elle serra les mâchoires, agacée par sa propre négligeance. Hyure n’était quasiment plus visible désormais, toute enveloppée par un linceul bleu pâle, semblable à un ciel d’hiver. L’orc tirait sur ses chaînes et mugissait sa colère, ce qui lui vallu une correction sévère de la part des gardes. Si le sang coulait de ses plaies fraichement ouvertes, il ne sembla absolument pas le remarquer. D’un geste sec de la tête, qui lui vallu de se faire étrangler par ses chaînes, il brisa net la lance d’un des guerriers, et jeta le crochet brisé de l’autre côté de sa cellule. Nelkisse se tendit.
Dépêche-toi, Hyure. Je t’en prie.
Fou de rage, l’orc se releva, banda tout ses muscles et se mit à hurler. Le halo de brume autour d’Hyure faiblit alors d’un seul coup, sans pour autant disparaître tout à fait. Alors, Nelkisse agit sans réfléchir.
Elle lança une décharge électrique pile entre les deux yeux de l’orc, qui fut projeté en arrière, sa tête heurtant le mur de pierre, le réduisant au silence juste assez longtemps pour permettre à la mage de reconstituer sa vision. Elle répéta l’opération juste assez pour étourdir l’orc, tandis que Taran Zhu faisait reculer les siens.

Après quelques secondes, qui parurent lui durer des heures, Hyure rouvrit les yeux, recula, et s’affaissa d’un seul coup, alors que Garrosh se ruait à nouveau contre les barreaux, ses défenses frôlant le visage d’un garde. Taran Zhu ramassa l’humaine et se dirigea vers la sortie, Nelkisse sur les talons.

 

Derrière elles, le mugissement de frustration mêlé de rage que poussa Garrosh ébranla les murs de la galerie. Lorsqu’elles débouchèrent à la lumière du jour, Nelkisse ressentit un profond soulagement, comme si même derrière ses barreaux de fer, Garrosh représentait encore et toujours une réelle menace. Taran Zhu avait allongé Hyure à même le sol, et dégageait ses cheveux de son visage. Il la fit boire à une outre et versa de l’eau sur son visage, tentant de la faire revenir à elle. Nelkisse s’agenouilla et psalmodia une prière de soin qui auréola l’humaine d’une douce lumière blanche. Alors, elle ouvrit les yeux, pour les contempler avec l’effroi le plus terrible qu’elle n’avait jamais vu dans ses yeux.

 

Ses yeux, les yeux d’Hyure, bleu comme la glace, l’élément qu’elle maitrisait avec prédilection, droit et juste, hardi et intelligent, qui inspirait tellement de confiance et de respect, ces yeux-là débordaient de peur et de désespoir, des sentiments que jamais l’humaine n’avait éprouvé jusqu’alors, ou bien les avait-elle cachés avec succès. Elle se redressa pour s’assoir avec difficulté et saisit Nelkisse par les épaules.

 

-         Il faut … Il faut qu’on retourne à Hurlevent.

-         Pourquoi ? s’écria la draenei, envahie par une peur sans nom.

-         Il … elle jeta un regard hagard au seigneur des Pandashans. Ils vont revenir.

-         Quoi ? Je ne comprends pas, Hyure, explique-toi …

-         Les orcs ! Je les ai vus ! Ils vont revenir, ils vont … Tout … Détruire …

Exténuée par sa prouesse magique, elle s’évanouit de nouveau. Emplie de terreur, Nelkisse garda néanmoins son calme et se tourna vers Taran Zhu.

 

-         Je vais la ramener au Sanctuaire et la faire soigner. Lorsqu’elle sera plus disposée à en dire plus, je vous le ferai savoir.

-         Inutile, nous vous accompagnons. J’ai toute confiance en votre amie. Si c’est un danger terrible qu’elle a vu, alors cela nous concerne aussi.

-         Entendu.

 

Elle n’était pas vraiment d’accord avec ça, mais ne protesta pas, l’esprit trop occupé. Elle monta sur sa chimère, et on l’aida à placer Hyure devant, en la calant contre elle. Elle vola doucement vers le Sanctuaire et ramena l’humaine à sa chambre. Vohlt la rejoignit rapidement, ainsi que He, une des nouvelles recrues, pour l’aider à soigner la mage épuisée. A l’extérieur, dans le couloir, tous les membres de la guilde attendaient avec fébrilité.

 

-         Jamais je n’ai vu Hyure aussi livide, chuchota Reyla qui, pour une fois, n’avait pas du tout l’air à l’aise. Vous avez vu ça ?

-         Oui, chuchota Xoraxo. J’espère qu’elle va s’en sortir.

-         Elle VA s’en sortir, voyons ! s’écria Siskhaa.

 

Ils restèrent immobiles jusqu’à ce que Vohlt ne sorte, l’air épuisé, mais soulagé. Tous comprirent alors qu’Hyure s’était réveillée.

 

-         A-t-elle parlé ? demanda Firona.

-         Oui.

 

L’expression de la prêtresse elfe se fit livide. Elle se tourna vers la chasseresse et se redressa pour se donner de la force, mais son regard restait empreint de terreur.

 

-         Organise les préparatifs, ordonna-t-elle à Reyla. Nous partons pour Hurlevent demain à la première heure.

26 septembre 2014

PROLOGUE

PROLOGUE

C’était un début d’après-midi plutôt tranquille qui s’amorçait sur la ville légendaire de Hurlevent. Peu de monde dans les rues, hormis quelques vendeurs de pain, de vin, et de jouets pour enfants, ainsi que les patrouilles montées des soldats du Roi. Le ciel était grisâtre, l’atmosphère humide, le vent assaillant, tout annonçant l’arrivée imminente de la pluie. Perchée sur l’un des toits des maisons constituant le quartier commerçant, une immense silhouette ailée remuait, ses griffes raclant contre la toiture. Un proto-drake de couleur rouille aux yeux lumineux, observait les passants d’un air malicieux, comme s’il mourrait d’envie de les attraper et de les emmener avec lui dans les airs. Certains levaient la tête vers lui avec inquiétude, d’autre s’arrêtaient pour observer ses pitreries. Mais bien vite, ils reprenaient leur chemin en baissant la tête. La raison ? L’être qui était juché sur la selle de la bête d’un air sévère. Il n’avait rien d’ordinaire, pour la simple et bonne raison qu’il s’agissait d’un lycanthrope – une femelle, qui plus est. Ses mains étaient serrées autour des rênes en cuir épais de sa monture, ses pieds protégés par des bottines en plaques bien calés dans les étriers. Ses cuisses, sa taille et ses bras étaient aussi ornés d’un attirail en plaques couleur de cuivre. Sur ses épaules étaient juchées des épaulières d’où sortait constamment une volute de feu, identique à celle que diffusait la masse dans son dos, ainsi que son large bouclier. Les oreilles de la bête s’orientèrent vers l’arrière et, d’un sifflement, elle ordonna à sa bête de décoller.

 

Le vent généré par ce mouvement ébouriffa ceux qui se trouvaient trop près. Elle ne sembla pourtant pas le remarquer, et mit le cap sur la sortie de la ville, où elle laissa son dragon aux soins des palefreniers. Cela fait, elle jeta un coup d’œil sur les portes de la ville, et poussa un léger soupir, le visage empreint d’un masque de douceur. La vie était très tranquille, ces derniers temps, et rien ne pouvait lui faire plus plaisir que de savoir que son peuple vivait en paix. Néanmoins, la « paix » en tant que telle avait bien un défaut : son ennui récurrent. Autrefois, lorsqu’elle vivait à Gilnéas, il y avait toujours eu quelque chose à faire. Ici, lorsque les choses allaient bien, son utilité était fragilisée : la garde du roi suffisait aux affaires les plus pointues. Elle poussa un nouveau soupir, et entra de nouveau dans la ville, à pied cette fois. Non pas qu’elle désirait la guerre, comme cela avait été le cas ces derniers mois. L’Alliance avait dû faire face à la folie de Garrosh Hurlenfer conjuguée à la soif de pouvoir d’Ysharj, le dieu Très Ancien, et ainsi empêcher la destruction de la Pandarie. C’était chose faite : Garrosh était derrière les barreaux, et sous bonne surveillance. Des semaines auparavant, elle avait prit un bateau pour retourner dans les Royaumes de l’Est. Certains de ses camarades étaient restés là-bas, mais de son côté, elle préférait retrouver ses vieilles habitudes.

 

Elle poussa la porte d’une taverne et fut accueillie avec chaleur par la serveuse. La Rose Pourpre était un endroit qu’elle avait pour habitude de fréquenter. En général, elle prenait toujours la même place, dans un coin sombre au fond de la salle, là où personne ne la dérangerait. Cette fois, après avoir commandé sa boisson habituelle – une bière de Dun Morogh – elle eût la surprise de voir que quelqu’un s’y était déjà installé. Elle lança un regard amer à la serveuse, mais celle-ci se contenta de sourire et de se retirer, après avoir posé la pinte sur la table. Siskhaa plissa les yeux. Dans l’obscurité, elle devinait bien un léger halo de lumière bleue, et une odeur particulière : celle de la magie. Ses oreilles se dressèrent de surprise, et son poil se hérissa lorsqu’elle vit le sourire de la femme assise à sa place, ainsi que l’éclat de son regard.

 

-         Hyure ?

-         Je savais bien que je te trouverai ici, marmonna l’autre d’une voix railleuse. Tu ne perds pas tes habitudes, on dirait.

-         Qu’est-ce que tu fais là ?

-         Comme toi, vois-tu. Je me suis un peu lassée de la Pandarie … Et il y avait des gens qui me manquaient aussi. Je m’apprête à retourner à Dalaran, mais je fais d’abord une escale ici.

-         Je suis étonnée que tu n’aies pas utilisé tes pouvoirs pour ça, commenta la Worgen avec un sourire narquois.

-         C’est vrai, je te l’accorde. Disons que j’avais envie de voir la Mer …

-         Ça fait un sacré voyage.

-         J’en ai profité pour étudier.

-         Ça ne m’étonne pas de toi.

-         En fait, murmura la mage comme pour changer de sujet, je voulais te voir. Ça tombe bien que tu sois là.

-         Qu’est-ce que tu veux ?

-         Avant mon départ, j’ai entendu des … Rumeurs, fit-elle en enlevant la capuche qui masquait son visage et en posant ses mains l’une sur l’autre sur la table. Il parait que les choses se corsent légèrement dans la prison pandarène.

 

A ces mots, la Worgen s’assit en face de sa camarade.

-         Non pas qu’il y ait danger, mais juste une curiosité qui m’a mis la puce à l’oreille.

Son interlocutrice acquiesça. En général, lorsque quelque chose inquiétait Hyure, elle venait consulter Siskhaa. C’était une habitude, et celle-ci ne savait pas trop si elle devait s’en réjouir ou s’en offusquer, alors elle prenait la chose comme elle venait. Elle écouta donc avec attention.

 

-         Il parait qu’un visiteur particulier a été saluer ce vieux Garrosh. Tu ne devineras jamais qui … C’était Kairoz.

-         Kairoz ?! Le dragon de bronze ? Mais … Je le croyais établi sur l’Île du Temps Figé.

-         C’était ce qu’on croyait tous. Mais apparemment, il est de retour sur le continent. Et je sais pas … Qu’il soit allé voir Hurlenfer me met la puce à l’oreille.

-         A moi aussi, marmonna Siskhaa en buvant une bonne lampée de bière. Est-ce que tu en sais plus ? Que lui as-t-il dit ?

-         Aucune idée.

-         Les gardes n’ont pas pu te renseigner ?

-         Je n’ai entendu ça que par le bouche à oreille, je n’étais pas là au moment où c’est arrivé, rappella Hyure avec condescendance. Mais j’aimerai le savoir aussi.

Elles se regardèrent un instant, puis Siskhaa écarquilla les yeux. C’était donc ça qu’elle avait essayé d’apprendre durant tout ce temps !

 

-         Chut ! Personne ne doit savoir que je travaille sur ce genre de sort. Ça me mettrait dans une position délicate.

-         Je vois pas pourquoi. Si les membres du Kirin Tor étaient au courant de ça, eux aussi tenteraient sûrement de jeter un œil sur ce qui s’est passé.

-         Peu d’entre eux sont capables d’aller lire dans le passé, surtout lorsqu’on ne connait pas la date exacte de l’événement. Et je pense qu’ils doivent être au courant. Un truc comme ça passe pas inaperçu, la preuve … La moitié de nos effectifs en Pandarie sont au courant.

Siskhaa but à nouveau et réprima un rôt. Ses oreilles s’agitaient nerveusement. Elle leva les yeux à nouveau vers sa camarade. Pour la première fois depuis le début de leur conversation, elle vit à quel point elle était épuisée. Elle s’était amaigrie, et des cernes creuses marquaient son visage. Néanmoins, son regard avait toujours cette poigne et cette volonté qui lui étaient propres. Dans son allure, elle ressemblait légèrement à Jaina Portvaillant – personne qu’elle disait ne pas apprécier, mais Siskhaa était persuadée que cela ne tenait qu’à une certaine jalousie … Tout le monde admirait Dame Portvaillant.

 

-         Et tu penses qu’aller à Dalaran est une bonne idée ? Je sais pas, si quelqu’un lit dans tes pensées ou quoi …

-         Aucun risque ! dit l’autre en riant. Je vais juste consulter les bibliothèques pour vérifier deux ou trois trucs, et rendre visite à des proches. Ils ne pourront me soupçonner de rien. Et si je suis obligée, et bien ma foi, je leur dirai. Mais on en n’est pas là. De toute façon, je te fais un topo très vite.

-         Tu pars déjà ?

-         Juste le temps de me remplir la panse.

-         Reste assise, je t’invite.

-          

Elles déjeunèrent donc ensemble, et discutèrent de choses plus légères. Siskhaa demanda des nouvelles des autres membres de la guilde, notamment ses chefs, Vohlt la prêtresse elfe et Nelkisse la chamane draenei. Tout le monde lui manquait beaucoup, mais elle avait des affinités toutes particulières avec cette dernière, ce qui énervait parfois les autres. L’amitié profonde était assez rare chez les guerriers, mais Siskhaa était capable de cela. Hyure lui raconta quelques anecdotes, notamment le départ de toutes les troupes de la Horde du continent pandaren, et la disparition d’Irion. Cela ne surprenait pas Siskhaa. Il avait été si déçu que Varian, le roi de Hurlevent, ne profite pas de la déchéance de Hurlenfer pour tuer son successeur, le noble Vol’Jin, qu’il avait retiré son soutien à l’Alliance et avait totalement disparu de la circulation.

 

Une fois leur repas payé, elles sortirent de l’établissement et débouchèrent dans la rue. Le temps ne s’était pas réchauffé. Le pelage de la worgen se hérissa pour la conserver un maximum au chaud, tandis que la mage ouvrait un portail vers Dalaran.

 

-         On se reverra bientôt.

-         Tiens-moi au courant. Et fais attention à toi, ajouta-t-elle au dernier moment.

La mage lui offrit un sourire avant de disparaître, le portail se refermant sur elle, et les pensées sombres se refermant sur la worgen désormais seule. Les nouvelles que sa camarade lui apportaient étaient vraiment dérangeantes. Pensivement, elle traversa de nouveau la ville pour se diriger vers les écuries et récupéra son proto-drake. Elle l’amena au cœur de la forêt sans monter dessus puis s’arrêta. Plongée dans une intense réflexion, son regard se figea vers un point invisible. Impatiemment, la bête ailée la poussa légèrement du bout de son immense gueule couverte de dents. Siskhaa lui tapota le crâne, et se hissa en selle.

 

Elle attendrait le retour de la mage. Mais son retour en Pandarie semblait inévitable.
Elle talonna sa monture et s’envola en vitesse, propulsée à toute allure vers les cieux par les ailes immenses de la créature. Là-haut, dans le froid vivifiant de l’altitude, son agitation s’apaisa quelque peu.

 

Néanmoins, au fond d’elle-même, elle savait que le calme était désormais de courte durée, et que la paix qu’elle estimait si ennuyeuse allait peut-être prendre un autre court. Il y avait anguille sous roche, elle le sentait dans chacune des fibres de son corps.

 

Bientôt, tout allait changer, elle le savait.

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