Chapitre II – Passé Recomposé
Debout face à la table du Roi, Jaina observait le détail du rapport qu’on venait de lui donner à propos de la découverte faite par une mage dans la prison pandarène. Ainsi, Kairoz avait bel et bien rendu visite à Garrosh en dupant toute une armée de pandashans. Bien malgré elle, il fallait remarquer que c’était plutôt bien joué de la part de l’elfe. Néanmoins, ce potentiel magique renforçait ses inquiétudes, surtout au fil des lignes, ou sa surprise se transformait en épouvante, puis en terreur. Elle posa le parchemin sur la table et fit tout son possible pour rester comme à son habitude : imperturbable. La belle femme aux cheveux lumineux posa son intense regard bleuté sur son roi qui l’observait, l’air véritablement maussade. A sa droite se tenait Maraad, le chef draenei, qui observait le sol avec contemplation. Jaina poussa un soupir.
- Qu’en pensez-vous ? lui demanda Varian d’un ton abrupt.
- Je pense que tout est vrai, Sire.
- Il faudra vérifier. Je ne sais même pas qui est cette … Hyure.
- Je connais sa guilde de nom. Ce sont des gens respectables. Ils n’auraient pas eu l’audace de vous contacter si tout n’avait bien été vérifié.
- Certes, mais je vous fais plus confiance qu’à n’importe quel mage. Vérifiez. Vous en êtes bien capable ?
- Oui.
- Alors, faites-le.
- Bien. Sont-ils ici ?
- Ils devraient arriver d’un moment à l’autre.
Un soldat entra comme pour faire écho aux paroles du Roi, pour leur apprendre que le navire transportant la guilde des Complices du Tonnerre était arrivé au port. On les fit escorter jusqu’à la salle où se trouvaient les trois souverains. Nelkisse entra en tête, suivie par Vohlt et Reyla de chacun de ses côtés. Le reste suivit en rang très ordonné et en silence, puis chacun salua avec le plus profond des respects.
- Salutations, Haut-Roi, Dame Jaina, Seigneur Maraad. Je vous remercie de bien vouloir nous recevoir.
- Dame Jaina ici présente va vérifier la véracité des dires de votre mage, lâcha le Roi sans répondre aux marques de respect en vigueur et d’un ton pressé. Ensuite, nous accorderons toute notre attention à votre affaire … Si cela est nécessaire.
Reyla plissa les yeux, mais ne dit rien, tandis que sa chef s’inclinait poliment. Elle aussi respectait Varian, mais il n’était pas obligé de leur parler de la sorte ! Ce qu’ils affirmaient était vrai, de toute façon, Jaina le confirmerait bien assez tôt. Elle donna l’ordre à Hyure de s’approcher de la Dame, qui lui offrit un sourire sympathique. Elle sembla lui expliquer quelque chose, mais Reyla était trop loin pour entendre quelque chose. Alors, les deux mages semblèrent entrer en communion.
Jaina ouvrit son esprit, et ce fut comme si celui de l’humaine entrait en elle en déferlant comme des vagues déchainées. Elle vit tout de la vision qu’elle avait généré à la prison : comment Kairoz avait libéré Garrosh, leurs plans, le passage qui leur avait permis de rejoindre une autre époque, ce pont entre le présent et le passé. A la fin de la vision, Jaina se sentit défaillir, et elle posa ses deux mains contre sa poitrine en se retournant lentement vers le Roi et Maraad, qui l’observaient avec impatience. Mais Varian n’eut pas besoin que Jaina formule le moindre mot : il avait bien comprit.
- Alors, Garrosh s’est enfui … Idiots de pandarens ! hurla t-til en abattant son poing sur la table, faisant tomber de petits sujets représentants des humains et des orcs. Pourquoi insister pour juger Garrosh en Pandarie s’ils ne sont pas capables d’assurer son emprisonnement ? Les incapables !
- Ce qui est fait est fait, Sire, murmura Maraad de sa voix grave, et malheureusement, nous ne possédons pas le pouvoir de revenir en arrière.
- Mais eux, si, dit Jaina.
- Que voulez-vous dire ?
- Kairoz a bel et bien créé un portail pour l’amener, lui, ainsi que Garrosh, à une époque bien reculée de la nôtre.
- Vous voulez dire qu’ils se sont projetés dans le futur ?
- Non. Dans le passé. Et plus précisément, celui de Draenor. Malheureusement, impossible d’en savoir plus.
Varian bondit de son siège et se mit à faire les cents pas. Reyla évita de croiser son regard, tandis qu’à ses côtés, elle sentait la fébrilité de Vohlt se mélanger à la sienne.
- Cela me parait plutôt évident, lâcha Maraad d’une voix tendue.
- Plait-il ?
- Si Kairoz s’est donné la peine de créer un portail vers le passé, et qu’il a tenu à y emmener Garrosh, je ne vois qu’une seule raison valable.
- Laquelle ?
- Ils ont du se projeter avant la corruption. Bien avant, même. Sûrement dans le but de l’arrêter, avant qu’elle ne soit accomplie.
- Vous voulez dire, avant que Gul’Dan ne leur fasse boire le Sang du Démon ? demanda Nelkisse.
- Absolument. Et leur but m’apparait, lui aussi, comme évident.
- Nous conquérir, murmura le Roi en se figeant sur place.
Nelkisse se tourna vers les siens. Machinalement, Reyla s’approcha d’elle pour lui témoigner de son soutien. C’était tellement surnaturel ! Et en même temps, elle ne pouvait qu’accorder que tout son crédit aux visions d’Hyure, confirmées par Jaina en personne. L’idée d’une Horde unie sous une même bannière, dans le code le plus dur, l’ordre le plus pur, était encore plus effrayant que cette masse d’orc contrôlés par les démons. La véritable Horde que Garrosh avait vue était donc réelle, mais dans des conditions tout à fait différentes à ce que tous s’attendaient.
- Le rassemblement des troupes est immédiat, hurla le roi, faisant sursauter Nelkisse. Nous allons déclarer l’état de guerre. Que toutes les troupes se tiennent prêtes ! hurla-t-il à l’un de ses sergents, qui sursauta sous l’invective. Nous devons nous préparer au pire.
- Mais la menace est pour l’instant invisible.
- Oui, pour l’instant. Néanmoins, je suis sûr qu’il y aura des signes avant-coureurs de l’invasion. Des éclaireurs, des failles temporelles … Ca peut être tout et n’importe quoi. Et il faudra tout chercher, absolument tout, sans exception. Et vous, ajouta-t-il en pointant Nelkisse du doigt, serez en première ligne. Je vous veux, vous et votre groupe, sur ce coup en même temps que mes propres troupes.
- Toutes les guildes seront nécessaires pour préparer notre monde au combat qui se profile à l’horizon, émit Maraad. L’état de guerre les poussera à revenir dans nos Royaumes et à quitter la Pandarie.
- Il n’y a plus rien de bon à faire là-bas de toutes façons, grogna le Roi. Laissez-nous, maintenant. Et … Je vous félicite, tous, acheva-t-il dans un murmure.
Chacun s’inclina, puis fit demi-tour pour sortir du château. Jaina intercepta Hyure et la gratifia d’un regard solennel.
- Toutes mes félicitations. Et merci. Vous nous avez permis de prendre une avance non-négligeable sur le conflit qui s’amène.
Reyla s’arrêta, se retourna, et observa les deux femmes. Elle avait entendu les mots de Jaina, mais n’entendit pas Hyure répondre. Celle-ci se contenta de s’incliner avec la plus grande déférence et rejoignit les rangs avec des yeux brillants. Une fois dehors, la guerrière lui donna un coup de coude bien senti dans les côtes.
- J’croyais que tu pouvais pas la saquer ?
- Oh, lâche-moi un peu.
- Aah ?
- Arrête !
Elle la poussa en souriant, mais ne pouvait s’empêcher de penser à l’avenir avec fébrilité, comme tout le reste du groupe.
- Que fait-on ? demanda Bruca.
- Nous nous joignons à l’entrainement martial. Cela nous fera le plus grand bien à tous, décréta Vohlt sans consulter Nelkisse.
- Oui, confirma celle-ci sans s’en formaliser. Il faut nous reprendre en main, c’est une certitude. Personne n’est autorisé à quitter Hurlevent jusqu’à nouvel ordre. Joignez-vous à tous les entraînements qui vous seront proposés, et suivez les ordres des responsables. Je vais me plier, moi aussi, à leur ligne de conduite, jusqu’à savoir réellement où nous allons.
Bruca acquiesça. Devant une menace non évaluée, mieux valait en effet suivre ce que le Roi et ses proches prévoyaient de faire, plutôt que de foncer tête baissée. Le chasseur tapota distraitement la tête de la hyène qui le suivait partout, et plongea au plus profond de ses pensées. Lorsque chacun se mit en route pour les entrainements respectifs, il resta là, immobile, et seul. Nelkisse le remarqua, et se dirigea vers lui.
- Quelque chose ne va pas ?
- Je ne peux pas m’empêcher de m’imaginer le pire …
- Que veux-tu dire ?
- Je veux dire … Que j’ai peur pour notre peuple. Crois-tu que leur haine envers nous existe toujours, malgré le changement de situation ?
- La guerre est inscrite dans notre histoire, Bruca, et j’admets ne pas savoir que répondre à ta question, bien que je me la pose moi aussi. Nous verrons bien. Quoiqu’il en soit, nous ne sommes plus aussi crédules qu’avant. Nous sommes endurcis et puissants. Nous nous défendrons, et aujourd’hui, nous ne sommes plus seuls et isolés : nous avons l’Alliance. Tout ira bien.
Il acquiesça, guère rassuré cependant, et rejoignit les autres chasseurs pour l’entraînement. Nelkisse, quant à elle, suivit He ainsi que Vohlt jusqu’à la Cathédrale pour renouer avec la Lumière. Elle en avait plus que besoin en ces heures troubles.
***
Debout dans la vallée désertique, Garrosh contemplait la foule d’orcs rassemblés en contrebas avec une satisfaction sans failles.
Il avait été aisé de se débarasser de Kairoz. Gonflé d’orgueil et d’arrogance, il n’avait absolument pas vu l’orc venir. Cependant, il avait énormément hésité à le tuer, doutant de ses capacités à retrouver Grom par ses propres moyens. Il avait failli se faire tuer par ses gardes, surtout lorsqu’il avait insisté pour ne parler qu’à leur chef, ce qui avait été très insultant pour ce peuple si fier. Finalement, et contre toute attente, ils avaient accédé à sa requête. Il avait été difficile de tout faire comprendre à Grom, pas parce qu’il était sot, mais parce que la venue d’Hurlenfer relevait de la plus puissante des magies, et qu’il était bien difficile d’y croire. Parfois, dans le regard de son père, il voyait encore comme des traces de confusion. Mais il lui faisait confiance. Et ainsi, leur ère pouvait commencer.
Les travaux étaient maintenus à un rythme d’enfer. La Porte qui devait les conduire en Azeroth était désormais à moitié achevée. Garrosh ne put s’empêcher de sourire. Il venait de changer le cours de l’histoire. En tuant Gul’dan, il avait évité la corruption à toute la peuplade orque. Arborant une fière allure, des regards de feu profonds, et une peau brune sous laquelle saillaient les muscles, les orcs étaient plus puissants, plus nobles et plus robustes que jamais. Nulle trace de magie noire ne venait souiller leurs humbles postures. Ils étaient grands, beaux, et fiers. Et tout ça grâce à lui. Garrosh exultait. Il se tourna vers Grom, qui discutait avec des ouvriers, sûrement pour leur donner de nouvelles directives. Son fils resta en arrière, et attendit qu’il ne le rejoigne.
- Notre œuvre devrait être finie d’ici moins d’un mois.
Garrosh acquiesça aux dires de Grom, ne trouvant pas les mots pour décrire son excitation. Il lut néanmoins à peu près la même chose dans les yeux de son père, et en échangeant ce simple regard, ils se comprirent aussitôt. La soif de conquête était partagée. Mais pour Garrosh, c’était mille fois différent.
Il venait de loin. Il avait connu un tout autre déroulement des choses.
Seulement, cette fois, il en était le maître.
Il déciderait, lui, ainsi que la Horde de Fer, ce qu’il allait advenir de ce monde.
Il prendrait sa revanche sur ceux qui avaient souillé son honneur.
***
Les habitants de Hurlevent étaient terrés dans leurs maisons, et les portes de la ville étaient fermées. Cette vision étrange mettait Siskhaa très mal à l’aise.
Avec le reste de son groupe, elle avait assisté au branlebas de combat. Les troupes du Roi avaient alors déferlé dans les rues pour prendre leurs postes défensifs. Beaucoup d’entre eux avaient quitté la ville pour servir de renfort ailleurs. Les remparts de la ville avaient été renforcés, des provisions avaient été acheminées depuis Forgefer principalement, afin de pouvoir tenir un siège pendant des mois. Aucun doute n’était possible : le Roi ne prenait plus du tout la menace de Garrosh à la légère et s’en remettait entièrement aux dires d’Hyure. Heureusement que Jaina avait été là pour les confirmer : sans son appui, la Worgen doutait que Varian ne les eussent écoutés, et surtout, qu’il aurait accordé son crédit à leur récit.
Ainsi, contemplant ce spectacle ahurissant, Siskhaa se sentait bien mieux. Chaque jour, elle participait à l’entraînement martial, mais d’une façon légèrement différente que certains. Avec Xoraxo, elle faisait partie de ceux qui entrainaient les moins expérimentés, tout en se pliant à un exercice auprès des plus grands seigneurs de guerre du roi afin de se mettre elle-même à l’épreuve. Si elle était très fière, elle ne voulait cependant ne rien laisser au hasard. Ses oreilles remuaient sans cesse, signe de sa très grande agitation. Accoudée à la fenêtre de la chambre qu’elle partageait avec Aïloka, Firona et Hyure, elle observait le flux presque ininterrompu de soldats se mettre en branle. Elle était impatiente de rejoindre le combat.
Le message avait été passé à Vol’Jin, qui s’était chargé de mettre chacun des peuples sous son commandement au courant. Le combat semblait aiguillé pour rassembler l’Alliance et la Horde sous la même bannière, mais la Worgen n’y croyait pas une seule seconde. Il était évident que si elle en avait l’occasion, la Horde s’allierait à leurs envahisseurs d’un autre temps pour abattre l’Alliance. Et alors, elle ne donnait vraiment pas cher de leurs peaux.
- T’as fini de grogner ?!
C’était Hyure qui, allongée négligemment sur sa paillasse, lui lança un glaçon qui alla s’écraser au sommet de son crâne. Siskhaa se retourna en gromellant.
- On le sait que tu as envie de casser des culs. Ça va venir, t’inquiètes pas.
- Oh, je m’inquiète pas.
- Ah bon ? fit l’autre avec un sourire en biais. On dirait pas.
Elle modela un minuscule petit pic de glace qui heurta le nez de la Worgen, qui éternua, déclenchant l’hilarité de l’humaine. Elle retroussa les babines.
- Arrêtez, implora Firona d’une voix faible.
Ailoka ne dit rien, mais coiffa les deux protagonistes d’un regard contrarié. Tout le monde était très tendu, mais pas Hyure. Elle semblait toujours au-dessus de toute difficulté, et si elle avait peur, ne le montrait jamais. Siskhaa était un peu de ce genre-là, mais était néanmoins sujette à une grande inquiètude avant le conflit. Dans le feu de l’action, rien ne pouvait l’arrêter. Mais avant … Toutes ces questions, ces menaces, ces incompréhensions la rongeaient jusqu’à l’os. Mais pas Hyure. Jamais.
- Vous pensez qu’ils seront là quand ? jeta celle-ci d’une voix haut perché en créant un nuage de neige juste au-dessus de la tête de Siskhaa.
- Difficile à dire, chuchota Firona en se tournant vers la druidesse, tandis que Siskhaa luttait contre les flocons qui collaient à sa crinière de jais. Ils pourraient arriver demain, comme dans une semaine, comme dans un mois …
- Quoiqu’il en soit, nous sommes préparés, affirma Ailoka avec confiance. Elle ferma les yeux, serra les poings, et fut enveloppée d’un nuage de brume épais et sombre. Dans un rugissement qui venait du plus profond de ses entrailles, elle se changea en Worgen à la peau brun clair et aux yeux gris aux reflets dorés. Ceux qui osent nous envahir ne nous trouverons pas à genoux, mais arme à la main, prêt à en découdre.
Siskhaa et l’elfe acquiesçèrent, mais Hyure toisa Ailoka avec arrogance et défi, et détourna la tête.
- Je nous vois pas attendre les bras croisés.
- On a pas les bras croisés, justement, répondit Firona avec humeur, agacée par la supériorité de sa camarade. Il y a l’entrainement. Evidemment, si t’y vas jamais …
- J’ai pas besoin d’entrainement.
- On en a tous besoin, toujours, maugréa Ailoka.
- Perdez donc pas vot’temps, grogna Siskhaa, elle est toujours meilleure que les autres. Ça lui f’ra tout drôle quand elle se prendra une hache orque dans l’cul.
Hyure la gratifia d’un sourire agaçant qu’elle aurait voulu lui retirer à grands coups de griffes. Siskhaa n’y comprenait rien en matière de magie, et préférait la force brute, la force du corps. Elle se méfiait beaucoup des mages, et haïssait les démonistes presque jusqu’à la mort, parfaitement incapable de leur accorder la moindre parcelle de confiance. Elle n’ajouta rien, mais dévisagea Hyure avec agacement. Elles se taquinaient énormément, mais s’appréciaient, comme tout autre membre du groupe. Néanmoins, en ces heures troubles, Siskhaa n’était vraiment pas d’humeur à se prendre des boutades, ce que tout le monde comprenait. Sauf Hyure. Celle-ci s’affala négligemment sur son lit et bailla à s’en décrocher la mâchoire.
Le bruit des sabots des chevaux claquaient contre les pavés de la ville. Tout un bataillon sorti des écuries royales et se dirigea vers la fôret d’Elwynn. Siskhaa ne comprenait pas le but de toutes ces manœuvres.
- Ils doivent renforcer toutes les villes, chuchota Firona comme pour faire écho à ses pensées. Je n’ose pas imaginer la terreur de ceux qui vivent dans les plus petites.
Siskhaa et Ailoka échangèrent un regard. Toutes deux avaient déjà connu la perte d’un foyer : celui de Gilnéas. Voir les troupes s’éparpiller ainsi les mettaient toutes deux mal à l’aise, car aucune n’était prête à laisser cette tragédie arriver à Hurlevent, comme cela avait déjà eu lieu dans le passé, lorsqu’Orgrim Marteau-du-Destin était à la tête de la Horde. Elles étaient trop jeunes pour avoir connu cette époque, mais toutes deux connaissaient l’histoire, comme tout le monde. Ailoka hocha la tête, et Siskhaa lui rendit son salut, la bouche sèche.
- Je vais rejoindre Reyla à l’entraînement.
- Ouais, vas-y hein ! T’en as besoin !
Une boule de neige traversa la pièce, que la worgen esquiva en tournant le dos à la mage, et sorti en claquant la porte avec humeur.
La ville était transportée par les bruits du métal, des sabots et des ordres lancés à tout-va. On arrêta Siskhaa au moins cinq fois pour lui rappeler de ne pas quitter la ville. Elle mit presque une trentaine de minutes pour rejoindre le quartier d’entrainement ou Reyla jouait de ses deux épées contre un mannequin d’entrainement. A l’arrivée de Siskhaa, elle s’épongea le front d’un revers de la main et lui lança un sourire. Siskhaa dégaina son épée et placa son bouclier, avant de frapper dessus en guise de provocation, les yeux jetant des éclairs. Reyla sourit de plus belle, et poussa un cri de guerre avant de se jeter sur la bête.
Comme la plupart des Worgens, Siskhaa ne portait pas de casque. D’abord, parce qu’il était très difficile de forger une armure de tête pour des lycanthropes, et de plus car cette race avait une espèce de fierté bestiale qui les poussait à avoir le moins recours possible aux armes et armures. Dans le cas de Siskhaa, il fallait qu’elle se protège, puisqu’elle était en tête de ligne. Mais sa tête n’arborait qu’une fière crinière noire déchainée et des oreilles rabattues, rien de plus. Reyla tenta donc de l’atteindre ici, mais elle s’y attendait, et la bloqua avec son bouclier avant de la projeter en arrière. L’humaine bondit de nouveau à l’attaque avec une vélocité surprenante et atteignit le flanc de la Worgen. Celle-ci poussa un hurlement qui fit vibrer le sol et étourdit Reyla juste assez longtemps pour qu’elle l’atteigne à l’épaule, le métal de son épée vibrant dans celui des épaulières de sa victime.
Reyla recula, et tourna lentement autour de sa cible, les yeux plissés. Siskhaa attendit, sans ciller. Puis elles chargèrent en même temps. Reyla bloqua le bras de Siskhaa avec son épée et l’obligea ainsi à tenir son bouclier en retrait, et l’atteignit à nouveau au flanc. Siskhaa bloqua à son tour son bras, et un craquement retentit dans celui de Reyla, qui hurla sa douleur et frappa de son bras droit vers le cou de la bête, qui se trancha net. Du sang se déversa de la plaie, mais en proie à une véritable furie, Siskhaa sembla ne pas s’en apercevoir, mais ses mouvements étaient ralentis. Elle chargea, bouclier et épée en avant, mais Reyla esquiva et tenta de l’attaquer par-derrière. Le métal frôla à nouveau les flancs de Siskhaa, qui repoussa son adversaire d’un coup de pied, pivota, et la frappa de toutes ses forces avec son bouclier. Reyla tomba sur le dos, et prit tout son temps pour se relever, remettant son casque en place.
- Très bons réflexes, malgré tes armes lourdes, maugréa-t-elle. Attention cependant à plus être sur la défensive que penser offensif. Ça, c’est le rôle de l’arrière garde.
- Entendu.
Toutes deux saluèrent, puis se séparèrent sans un mot de plus. Siskhaa fit soigner sa plaie au cou auprès des prêtres et rejoignit sa chambre à reculons. Retourner se terrer là-dedans en attendant l’affrontement était une véritable torture. Mais se blesser stupidement à l’entraînement n’était pas plus intelligent. Elle déposa ses armes dans l’entrée, et remonta dans la petite pièce. Hyure s’était endormie, Firona lisait, Ailoka contemplait l’extérieur. Brutalement fatiguée, Siskhaa s’allongea sur sa couche faite de peaux, poussa un soupir, et ferma les yeux.
Quelques heures plus tard, la cloche de l’Eglise résonna en tirant brusquement la Worgen de son sommeil. Elle entendit alors un bruit de course, qui se dissipait rapidement. Elle dressa les oreilles et se leva, encore engourdie. Toutes ses camarades avaient disparu. En se penchant par la fenêtre, elle les vit courir sur les rues pavées de la capitale. En grognant, la worgen sauta par ladite fenêtre et, courant à quatre pattes, rattrapa bien vite celles qui l’avaient devancées. Elles et bien d’autres groupes de guerriers de toutes races les rejoignirent dans leur cavalcade, et ensemble, ils mirent le cap sur la place de l’Eglise, qu’ils rejoignirent très vite. Hammond Clay, général de l’Alliance, se tenait sur un petit promontoire, déjà entouré de nombreux guerriers, mages, druides, et autres moines. Il attendit quelques instants que les retardataires arrivent, puis s’adressa à la foule, plongée dans un calme olympien, dont les yeux brillaient autant de peur que de curiosité.
Le général, homme robuste aux courts cheveux bruns, dominait l’assistance avec l’autorité et l’aisance qui lui étaient propres. Il déroula un parchemin et le lit d’une voix haute et puissante. Pourtant, Siskhaa remarqua qu’il était particulièrement tendu et agité, malgré tous les efforts qu’il déployait pour rester calme devant les siens. Elle serra les mâchoires. Elle n’était pas sûre d’aimer ce qu’elle allait entendre.
« De Varian Wrynn, Haut Roi de Hurlevent. Une activité anormale dans les Terres Foudroyées à poussé nos troupes de reconnaissance à enquêter dans cette région. Au premier jour, il s’agissait d’ombres qui s’agitaient autour du portail désactivé. Le second, la terre autour de l’édifice a commencé à se fissurer et à créer des trous béants dans le sol et les montagnes. Le troisième jour, le portail a prit une teinte rouge sang, et nos équipes ont alors envoyé une alerte à Hurlevent. Le temps que je m’y rende en personne avec mes troupes d’élites, ils étaient tous morts. »
Des cris retentirent dans l’assistance, que Laurena, prêtresse de Hurlevent, fit taire d’un geste sévère.
« La Porte des Ténèbres s’est ouverte à nouveau, laissant passer des dizaines et des dizaines d’orcs en provenance de Draenor. Ils sont très différents de ceux que nous connaissons. Leur peau est brune, et non pas verte. Ils sont ordonnés, minutieux, intelligents, et incroyablement forts. Ils sont menés par Grom Hurlenfer, ainsi que par son fils … Garrosh. »
Siskhaa n’en croyait pas ses oreilles. Bouche bée, elle se tourna vers Nelkisse qui, le visage grave, fixait son supérieur. Vohlt avait les yeux rivés au sol, et Bruca chuchotait nerveusement avec He et Feannore. Tous partageaient le même sentiment d’incompréhension, de peur et de colère qu’elle-même tentait de refouler.
« Tous les combattants de l’Alliance et de la Horde sont amenés à rejoindre le front pour repousser l’envahisseur, qui porte désormais le nom de Horde de Fer. Tout guerrier passant la Porte doit mourir. Les mages sont invités à rejoindre la base du Kirin Tor pour travailler avec les archimages et les magus les plus puissants de ce monde, de la Horde ou de l’Alliance, afin de trouver un moyen de refermer cette Porte au plus vite.
Champions … Je compte sur vous. »
Le silence était de plomb. Le général rangea soigneusement le parchemin et poussa un profond soupir, comme s’il ne savait pas par où commencer. Il rejeta la tête en arrière, puis posa à nouveau son regard de braise sur l’assistance.
- Depuis que nous avons reçu cette lettre, il s’est passé d’autres choses. Notre Roi est en réunion au sommet avec Vol’Jin pour préparer la contre-offensive. Il semblerait que ce combat nous unisse face à un ennemi commun. La trève prend des allures d’alliance, et je ne tolérerai pas que d’anciennes tensions ne vienne porter une ombre sur ce partenariat. J’espère m’être bien fais comprendre. Ensuite, nous avons appris que Rempart-du-Néant, ainsi que Okril’On, sont tombés. Le Roi exige que l’on envoie tous les combattants disponibles sur place afin d’évaluer l’ampleur de leurs effectifs, leur force, et les pousser à repartir, peu importe d’où ils viennent.
Des vivats éclatèrent au sein de l’assistance. Clay acquiesça en esquissant un sourire, mais Siskhaa fut tirée de cette contemplation par Reyla, qui la tirait vivement par le bras. Elle n’eut pas le temps de protester qu’elle se retrouvait à l’arrière de la foule, là où sa guilde s’était réunie. Nelkisse et Vohlt avaient le visage fermé et le regard plein de détermination. Il y avait longtemps qu’on ne les avait pas vues aussi froides et remplies d’envie d’en découdre. Les autres étaient aussi décontenancés que Siskhaa, mais bien décidés à suivre le mouvement.
- Nous partons sur le champ, déclara Nelkisse. Nous prendrons la voie des airs. Tout le monde à dos de dragon. Siskhaa, ton proto-drake t’attend au port, il est arrivé il y a deux jours. Vohlt, les palefreniers ont soigné ton drake de pierre vitrifiée a été soigné, et il t’attend au même endroit. Nous chevaucherons sans relâche jusqu’à notre destination, alors préparez-vous en conséquence.
Chacun s’exécuta rapidement. Siskhaa récupéra ses armes, une nouvelle chemise, ainsi qu’un peu de nourriture pour elle et sa monture. Elle se mit rapidement en selle, après avoir vérifié que chacune de ses pièces d’armures, ainsi que son épée et son bouclier, étaient parfaitement opérationnels. Les autres la rejoignirent bientôt sur les quais. Nelkisse fut la dernière, en selle sur un drake bleu aux crocs étincelants.
La draenei resserra son emprise sur les rênes de la bête, qui se recroquevilla, se demandant ce qu’elle avait fait de mal. Elle poussa un soupir pour se décontracter. Ils avaient affronté bien des dangers, ensemble. Il n’y avait plus grand-chose qui puisse les effrayer. Lorsqu’elle posa son regard sur Reyla, puis Hyure, elle sentit leur force et leur détermination sans faille s’insinuer en elle. Elle se sentit soudain inébranlable, forte, sûre d’elle. Elle observa ensuite Bruca et se sentit plus mal à l’aise, bien plus sensible. Ses pensées allèrent vers les plus jeunes, les plus vieux, les orphelins, les blessés et les morts. Et ainsi de suite, à chaque fois qu’elle plongeait son regard lumineux dans celui des siens, elle ressentait tout, absolument tout ce qu’ils ressentaient eux-même, ne faisant plus qu’un avec leurs doutes et leurs questions, autant qu’avec leur force et leur courage. Elle se redressa sur sa selle, observa Vohlt un long moment. Celle-ci hocha la tête. Elle se tourna alors vers sa guilde.
Reyla, Hyure, Siskhaa, Xoraxo, Bruca, Feannore, He, Kuti, Hyury, Ailoka, Layllah, Skarvan, Tehlya, Firona, Ëllen, Thramir, Lörna. Et Vohlt. Tous l’observaient, attendant patiemment l’ordre de partir. Mais avant cela, Nelkisse porta la main à son cœur et ouvrit grand les yeux.
- J’ai toute confiance en vous. Je sais que vous me suivrez au cœur de ce chaos sans défaillir, et je suis honorée par vôtre loyauté. Je pense sincérement que tant que nous resterons aussi unis que nous le sommes en ce moment-même, la Horde de Fer ne pourra rien contre nous.
Chacun hurla son approbation, les cris étant couronnés par les rugissements bestiaux des Worgens. Nelkisse esquissa un sourire, et talonna sa monture. En quelques battements d’ailes, la puissante bête aux écailles bleu ciel se hissa dans les cieux et, trouvant un courant porteur, mit le cap sur le sud. Nelkisse lui laissa les rênes longues, et son regard se perdit dans l’infini bleu-rosé du ciel. Le soleil pâle amorçait sa lente descente dans la Grande Mer, comme effrayé de faire face aux nouvelles de ce sinistre crépuscule.
Te lèveras-tu demain, pour guider les miens ? Les inonderas-tu de ta sainte lumière au cœur des ténèbres ? Nous en aurons besoin, s’il te plait, ne nous abandonne pas …